23 mars 2022

Erwin Vanderstappen, juriste d'entreprise

 

Dans le cadre d'une fusion ou d'une scission de sociétés, l'intervention du commissaire ou, à défaut, d'un réviseur d'entreprises ou d'un expert-comptable certifié par l'organe d'administration (ci-après le professionnel) a pour objet de faire rapport sur le projet de fusion ou de scission et de déclarer dans quelle mesure le rapport d'échange des actions est, à son avis, pertinent et raisonnable.

Par rapport d'échange pertinent, on entend un rapport d'échange établi selon les méthodes d’évaluation admises dans la vie économique, donc approprié à l’objet et à la situation. Un rapport d’échange pertinent implique un contrôle marginal. Le législateur demande que le professionnel déclare si, à son avis, le rapport d’échange « est pertinent et raisonnable ou non » ; l’intervention du professionnel  ne vise donc pas l’exactitude du rapport d’échange. Par conséquent, le professionnel ne peut que déclarer que, soit le rapport d’échange est  pertinent et raisonnable, soit non pertinent et non raisonnable.

A la suite de ses travaux, le professionnel forme une conclusion sur la pertinence et le caractère raisonnable du rapport d’échange tel que repris dans le projet de fusion ou de scission et sur le caractère approprié des méthodes d’évaluation appliquées. Le professionnel indique dans un paragraphe relatif à d’autres points, le cas échéant, les difficultés particulières d'évaluation rencontrées lors de l’exécution de sa mission.

Du point de vue normatif la conclusion prend la forme d’une conclusion sans réserve ou d’une conclusion modifiée, à savoir soit une conclusion négative, soit une abstention de conclusion. Une conclusion avec réserve n’est pas possible vu l’objet de la mission, même lorsque le rapport d’échange est déterminé sur la base de la valeur de la rentabilité future des sociétés.

Dans les cas suivants, le professionnel  exprime une conclusion négative :

  1. lorsqu’il constate une infraction significative au référentiel comptable ayant un impact direct sur le rapport d’échange ;
  2. lorsqu’il conclut, à la suite des travaux effectués, qu’une ou plusieurs méthodes n’est ou ne sont pas raisonnable(s) ni appropriée(s), ou lorsque cette méthode ou ces méthodes n’a pas ou ont pas été correctement appliqué(s) ;
  3. lorsqu’il identifie une incertitude significative qui n’a pas été prise en compte dans la détermination du rapport d’échange, dans la mesure où cette incertitude a également un impact significatif sur le rapport d’échange ; et
  4. si les méthodes utilisées dans les différentes sociétés concernées ne sont pas identiques ou appliquées de la même manière et, selon son avis, la justification n’est pas acceptable.

Dans les cas suivants, toutefois, le professionnel  formule une abstention de conclusion :

  1. lorsqu’ il n’est pas en mesure de recueillir des éléments probants suffisants relatifs au rapport d’échange et aux méthodes d’évaluation ;
  2. lorsque les incertitudes affectent une trop grande partie de ces informations ou  n’ont pas pu être prises en considération en raison de leur caractère aléatoire, pour qu'il puisse parvenir à une conclusion ;
  3. lorsqu’il y a un doute suffisant sur l’intégrité des organes d’administration, de sorte que les déclarations écrites ne sont pas fiables ; et
  4. lorsque les organes d’administration ne fournissent aucune des déclarations écrites demandées.

Toutefois, lors de l'utilisation d'informations financières prospectives pour établir le rapport d'échange, la simple existence d'incertitudes sur des actions et des événements, qui ne se sont pas encore produits et qui pourraient ne pas se produire, ne peut conduire à la formulation systématique d'une abstention de conclusion.

La question se pose de savoir quelles sont les conséquences d’une conclusion négative ou une abstention de conclusion du professionnel quant à l'obligation dans le chef du notaire, en cas de fusion ou de scission, de confirmer l'existence et la légalité interne et externe des actes juridiques et formalités auxquels est soumise la société pour laquelle il agit.

La Fédération royale du notariat belge (FEDNOT) est d'avis que, si le professionnel  émet une conclusion négative, il a bel et bien émis une déclaration sur le rapport d’échange. Ainsi, la légalité externe et la légalité interne sont toutes deux satisfaites. La loi ne précise pas que l'assemblée générale est ensuite liée par ses conclusions. Les actionnaires doivent alors décider en toute connaissance de cause s'ils souhaitent poursuivre l’opération. Le professionnel  ayant évalué l’opération, l'obligation légale de déclaration a été respectée dans ce cas.

A contrario, une déclaration d'abstention indique, selon l’interprétation de FEDNOT,  que le professionnel  n'a pas pu réaliser son audit. Comme il n'y a pas eu d'évaluation du caractère raisonnable et pertinent du rapport  d’échange, les exigences de base du rapport du professionnel n'ont pas été respectées. Un rapport a été formellement établi, mais il ne contient pas les éléments qu'il devrait au moins contenir pour satisfaire au prescrit légal, à savoir une conclusion sans réserve  ou une conclusion négative quant au caractère raisonnable et pertinent du rapport d'échange. Par conséquent, le notaire ne peut pas confirmer la légalité des actes juridiques et l'acte ne peut pas passer.

Étant donné que dans de nombreux cas, l'abstention de conclusion sera due au fait que le professionnel  n'a pas obtenu les documents ou la coopération nécessaires pour se prononcer sur la question, FEDNOT est d'avis que le fait que l'acte ne puisse pas passer, peut contribuer à renforcer la position du professionnel  vis-à-vis de la société. Après tout, une conclusion négative n'empêche pas l'opération de fusion ou de scission d'avoir lieu, alors qu'une abstention l’empêche.

Le processus de réflexion du professionnel  pour parvenir à une conclusion négative ou à une abstention de conclusion est quelque peu différent. Une conclusion négative est formulée lorsque, sur la base des travaux effectués, l'impact sur le rapport d’échange est considéré comme ayant un caractère diffus. Dans le cas où le professionnel conclut qu'il ne dispose pas d'éléments probants suffisants pour mener à bien son travail ou que les incertitudes affectent une trop grande partie de ces informations, il n'a d'autre choix que de formuler une abstention de conclusion et de modifier la section de son rapport relative à ses responsabilités. Pour les deux types de conclusion, il indique les éléments qui ont conduit à l'ajustement de sa conclusion.

Compte tenu de ce qui précède et afin d'informer en temps utile les organes d’administration des sociétés concernées par une opération de fusion ou de scission qu'une abstention de conclusion est une déclaration qui ne passe pas « le test de légalité » du notaire, il est recommandé au professionnel d'inclure déjà cette information en tant que telle dans sa lettre de mission au début de la mission. 

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