28 juin 2023

Sandrine Van Bellinghen, Déléguée générale des affaires européennes et internationales

 

La Cour d’appel de Bruxelles, neuvième chambre des affaires civiles, s’est prononcée dans un arrêt du 11 mai 2023, sur un recours introduit par un réviseur d’entreprises contre le jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 20 novembre 2017. En l’occurrence, ce jugement portait sur la révocation du commissaire agréé par une institution de retraite sous la forme d’un organisme de financement de pensions (ci-après « organisme de financement de pensions ») conformément à la loi du 27 octobre 2006 relative au contrôle des institutions de retraite professionnelle.  L’organisme de financement de pensions  avait pris la décision en 2015 de révoquer le réviseur d’entreprises comme commissaire agréé. Faisant suite à cette révocation, le réviseur d’entreprises a introduit une action judiciaire ayant abouti à un jugement rendu par le tribunal de première instance de Bruxelles estimant qu'il y avait des justes motifs à sa révocation.

Appel fut interjeté.

La Cour d'Appel a rendu son arrêt en date du 11 mai 2023 et a réformé le jugement attaqué en statuant que le commissaire agréé a été révoqué sans juste motif valable.

Il y a lieu de mettre en exergue trois points importants qui ont conduit la Cour d'Appel à déclarer fondé l’appel du réviseur d’entreprises/ commissaire agréé révoqué.

Le premier concerne la fonction de signal. L’article 108 premier alinéa de la loi du 27 octobre 2006 relative au contrôle des institutions de retraite professionnelle qui traite des missions du commissaire agréé d'une IRP dispose que « le commissaire agréé collabore au contrôle exercé par la FSMA sous sa responsabilité personnelle et exclusive (…), aux règles de la profession et aux instructions de la FSMA. A cette fin, le point 5° précise que dans le cadre de sa mission auprès de l'institution de retraite professionnelle ou d'une mission révisorale auprès de l'entreprise d'affiliation ou d'une entreprise dont l'institution de retraite professionnelle détient le contrôle en droit ou en fait, il fait d'initiative rapport à la FSMA dès qu'il constate : a) des décisions, des faits ou des évolutions qui influencent ou peuvent influencer de façon significative la situation de l'institution de retraite professionnelle sous l'angle financier ou sous l'angle de son organisation administrative et comptable ou son contrôle interne; (...) ». La Cour écrit que « II ressort de cet article que la fonction de signal est une mission essentielle du commissaire. II ne peut dès lors être porté atteinte à cette mission par l'institution de retraite professionnelle en exigeant une concertation préalable à l'exercice de cette mission ». En outre, l'article 108, alinéa 2, de la même loi dispose qu’ « aucune action civile, pénale ou disciplinaire ne peut être intentée ni aucune sanction professionnelle prononcée contre un commissaire agréé qui a procédé de bonne foi » à l’exercice de la fonction de signal.

Le second concerne l’absence de juste motif pour la révocation. La charge de la preuve de l’existence d’un juste motif repose sur celui qui s’en prévaut. Ne constituent pas des justes motifs au sens de l’article 135, § 1er du Code des sociétés (actuellement remplacé par l’article 3:66 du Code des sociétés et des associations), un simple défaut subjectif de confiance de la société contrôlée dans le commissaire ou encore une divergence d’opinion sur un traitement comptable ou une procédure de contrôle.

La Cour considère qu’iI ressort de la nature de la mission du commissaire que celui-ci n’intervient pas dans l’intérêt exclusif de la société contrôlée mais qu’il défend également les intérêts des tiers au risque, parfois, dans l’exercice de sa mission, d’entrer en conflit avec la société contrôlée, de formuler des réserves ou de refuser de certifier les comptes. Une telle attitude ne saurait constituer un « juste motif » d'exclusion au sens de l'article 135 du Code des sociétés (actuellement remplacé par l’article 3:66 du Code des sociétés et des associations).

Si les documents comptables ne sont pas disponibles dans le délai légal, le réviseur d’entreprises prendra les mesures qui s'imposent, notamment par l'établissement d'un rapport de carence a l'attention de l'assemblée générale (Cass.,  24 mai 2007,  R.G. n°D.06.0007.F, p. 13).

Le troisième concerne le type de rapport émis par le commissaire. La Cour rappelle que : « Au surplus, l'émission d'un rapport d'abstention ne peut, quant à elle, pas en tant que telle être reprochée à un commissaire eu égard à l'indépendance dont il jouit durant l'exercice de sa mission et à la nature même de celle-ci ».

Il est dès lors important de souligner que cet arrêt réitère le rôle crucial du commissaire qu’il exerce en toute indépendance et dans l’intérêt général. Cette indépendance rend la fonction de signal possible. La fonction de signal vise à porter des éléments à la connaissance de la FSMA. Elle ne peut toutefois être exercée par le commissaire agréé que faisant suite à un certain nombre de constatations inquiétantes précisées dans la loi. Elle répond donc à des critères bien précis que le commissaire agréé avait respectés en l’occurrence.

Enfin, la durée des mandats de commissaire de trois ans a été choisie par le législateur afin de permettre au commissaire de mener à bien sa mission de contrôle en toute indépendance. A titre de principe général, il y a lieu de souligner que les interruptions des mandats de commissaire avant l’expiration du délai normal de 3 ans doivent constituer des exceptions, lesquelles seront, dès lors, interprétées de manière stricte.

En effet, les situations de révocation « justifiée » par la société contrôlée sont très limitées. Pour qu’il y ait faute, il faut que les manquements invoqués par la société contrôlée puissent être appuyés par des faits démontrables pouvant être vérifiés par le juge afin de prouver que la poursuite du mandat est impossible, ce qui n’était pas le cas ici. Un simple manque de confiance envers le commissaire est en lui-même insuffisant.

Conclusion

Les motivations de cet arrêt de la cour d’appel qui disposent que l’exercice de la fonction de signal ne constitue pas un juste motif pour interrompre un mandat de commissaire avant l’expiration de son terme normal de 3 ans sont importantes, non seulement pour les réviseurs d’entreprises agréés auprès de la FSMA et de la BNB, mais également pour tous les réviseurs d’entreprises susceptibles de devoir communiquer une suspicion de blanchiment auprès de la CTIF.  De telles communications ne peuvent pas être invoquées par le client pour mettre un terme prématurément au mandat de commissaire.

Peut également vous intéresser

Communication 2020/06 : COVID-19 – Rappel de la fonction de signal du commissaire