24 novembre 2025
Marleen Mannekens, réviseur d'entreprises, vice-présidente de l'ICCI
Cette première partie de l'article portera principalement sur les principes généraux et l'historique législatif du Pilier II. Dans la prochaine newsletter, la deuxième partie de cet article se concentrera sur l'impact des dispositions fiscales du Pilier II sur le reporting financier, ainsi que sur les travaux et le rapport du commissaire.
L'érosion de la base d'imposition (base erosion) et le transfert des bénéfices (profit shifting) constituent depuis quelque temps déjà une source de préoccupation pour les gouvernements et les autorités au niveau international. Afin de lutter contre ce phénomène, il faut (ou il fallait) des systèmes fiscaux transparents et un fonctionnement cohérent. En d'autres termes, une approche internationale est absolument nécessaire. C'est dès 2013 que l'OCDE a élaboré, en collaboration avec le G20, le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), dont l'objectif principal était de lutter contre l'évasion fiscale des multinationales grâce à des montages permettant de transférer les bénéfices vers des pays à faible taux d'imposition ou sans imposition. Ce phénomène a été encore accentué par la numérisation de l'économie, qui a entraîné une forte croissance du commerce en ligne et des activités transfrontalières en général. L'idée sous-jacente était que l'imposition des bénéfices devait être davantage liée à la juridiction où les activités économiques sont effectivement exercées plutôt qu'à la localisation formelle de l'entité.
Ce n'est qu'en octobre 2021 qu'environ 140 pays ont adhéré au Cadre inclusif (Inclusive Framework ou ‘IF’) de l'OCDE/G20 sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting – BEPS). L'accord-cadre contient un plan détaillé de réforme fiscale internationale reposant sur deux Piliers.
Le pilier 1, qui vise les multinationales les plus importantes et les plus rentables, a pour objectif de (ré)attribuer les revenus imposables afin que le droit d'imposition revienne davantage aux pays où se trouvent les consommateurs ou les utilisateurs (les « juridictions de marché »).
Le pilier 2 prévoit un seuil minimum de taux d'imposition effectif de 15 % pour les entités qui répondent aux critères légaux.
L'Union européenne a activement intégré le projet BEPS et le Cadre inclusif dans la réglementation contraignante à l’égard des États membres, par le biais de plusieurs directives. Dans ce cadre, il existe les directives ATAD 1 & ATAD 2 (Anti-Tax Avoidance Directives) (restrictions en matière de déductibilité des intérêts, impôt de sortie en cas d'émigration, règles CFC (Controlled Foreign Companies), etc.), la DAC 6, les piliers 1 et 2.
Depuis 2021, en vertu de la DAC 6, les intermédiaires sont soumis à une obligation de déclaration/notification dans le cadre de montages transfrontaliers présentant un avantage fiscal potentiel[1] . L'objectif est ainsi d'accroître la transparence et la coopération entre les États membres.
En décembre 2022, l'UE a adopté une directive[2] visant à mettre en œuvre les règles dites « GloBE » (Global Anti-Base Erosion Rules) du Pilier 2. À compter du 1er janvier 2024, les États membres devaient appliquer un taux d'imposition minimum de 15 % aux multinationales relevant du champ d'application.
La Belgique a transposé progressivement les différentes directives dans sa législation nationale. Le Pilier 2 a ainsi été intégré dans la législation belge par la transposition de la directive européenne susmentionnée par la loi du 19 décembre 2023 portant introduction d'un impôt minimum pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure[3] (M.B. 28 décembre 2023).
La loi du 19 décembre 2023, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, introduit les règles GloBE et s'applique :
L'imposition minimale de 15 % est obtenue grâce à trois mesures fiscales de prélèvement différentes, qui garantissent que les entreprises multinationales sont effectivement soumises à ce taux d'imposition[4] :
Ces trois mécanismes combinés garantissent que les entreprises multinationales ne puissent pas passer sous le seuil d'imposition effective de 15 %.
A la suite de l'entrée en vigueur de la loi du 19 décembre 2023, un certain nombre de procédures doivent être suivies.
Les groupes d’entreprises multinationales (EMN) et les groupes nationaux de grande envergure soumis à l'impôt minimum pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure s'enregistrent ou sont enregistrés auprès de la Banque-Carrefour des Entreprises (BCE).
Afin de pouvoir procéder à l'enregistrement auprès de la BCE, le groupe EMN ou le groupe national de grande envergure doit s'inscrire auprès du SPF Finances à l'aide d'un formulaire de notification disponible sur MyMinfin (lien externe) (« Mes applications professionnelles > Pillar 2 »).
La notification par les groupes EMN et les groupes nationaux de grande envergure doit être effectuée au plus tard 30 jours après le début de l'exercice pour lequel le groupe EMN ou le groupe national de grande envergure relève du champ d'application de la loi du 19 décembre 2023. En cas de notification valide, le SPF Finances enregistre le groupe EMN ou le groupe national de grande envergure auprès de la BCE. Le numéro d'entreprise du groupe est alors envoyé par e-mail à l'entité qui a déclaré le groupe.
Parallèlement à la loi du 19 décembre 2023, la loi du 8 janvier 2024 a été adoptée afin d'adapter et d'harmoniser le CSA aux réformes fiscales du Pilier 2, de manière à ce que les sociétés belges et les commissaires puissent correctement respecter et déclarer les nouvelles obligations introduites. Il s'agit en particulier des articles 1:31/1, 3:8/1, 3:8/2, 3:8/3, 3:8/4, 3:12/1, 3:20/1, 3:20/2, 3:20/3, 3:34/1, 3:36/1 et 3:45/1 et de l'insertion d'un point 10°/1 à l'article 3:75, premier alinéa du CSA et d'un point 6°/1 à l'article 3:80, premier alinéa du CSA (rapport du commissaire sur les comptes annuels et les comptes annuels consolidés) [5].
SPF Finances/actualités/pillar-2, Pillar 2 | SPF Finances.
Maandblad voor Accountancy en Bedrijfseconomie 98(6) (2024): 353–364 DOI 10.5117/mab.98.136265.
Issue 218 / May 2023 IFRS Developments EY; Amendments to IAS 12: International Tax Reform Pillar Two Model Rules.
Grant Thornton, Navigating the changes to International Reporting Standards, 2025 edition.
PWC Global Implementation of Pillar two: Impact on deferred taxes and financial statement disclosures 12 sep 2023 (updated 27 feb 2025).
Conseil IRE, prj-nrm-compl-coord-2025-csrd-approb-cspe.pdf, Section : « III.11bis. Mention relative à la déclaration d’informations relatives à l’impôt sur les revenus ».
[1] Steven De Blauwe, 30 mars 2022, « Impact de la DAC6 sur le réviseur d’entreprises et le commissaire », Impact de la DAC6 sur le réviseur d’entreprises et le commissaire.
[2] Directive (UE) 2022/2523 du 14 décembre 2022 visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union, Publications Office.
[3] Loi du 19/12/2023 concernant l'introduction d'un impôt minimum pour les groupes d'entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure.
[4] SPF Finances/actualités/pillar-2, Pillar 2 | SPF Finances.
[5] Fernand Maillard, 14 février 2024, « Loi du 8 janvier 2024 : modification du CSA sur la publication d'informations relatives à l'impôt sur les revenus de certaines sociétés », Loi du 8 janvier 2024 : modification du CSA sur la publication d'informations relatives à l'impôt sur les revenus de certaines sociétés.