30 mars 2022

Steven De Blauwe, Conseiller affaires juridiques IRE

 

Le 20 décembre 2019, la loi transposant la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration (ci-après : « loi DAC6 ») a été adoptée. Cette loi a été publiée au Moniteur belge le 30 décembre 2019 pour une entrée en vigueur le 1er juillet 2020.

Sans entrer dans les détails du champ d’application de la loi DAC6, on peut dire que cette loi s’applique aux « dispositifs transfrontières comportant certains marqueurs déterminés »[1].

Les réviseurs d’entreprises impliqués dans de telles dispositifs transfrontières en tant qu'intermédiaires se poseront sans doute des questions sur la compatibilité de cette obligation de déclaration avec leur secret professionnel.

Qualification d'un réviseur d’entreprises agissant dans le cadre d’un dispositif DAC6

En vertu de la loi DAC6, les « intermédiaires » sont tenus d‘informer l’autorité compétente belge des dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration s'ils sont impliqués dans de tels arrangements, soit à titre professionnel, soit parce qu'ils les ont élaborés ou qu'ils en font la promotion. Un intermédiaire peut être une personne morale, une personne physique ou une entreprise sans personnalité morale. L’obligation de déclaration est applicable à chaque intermédiaire et à chaque dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration dont l’intermédiaire a la connaissance, qu’il possède ou contrôle. Toutefois, un intermédiaire n’a pas d’obligation de recherche active[2].

Afin de déterminer si un réviseur d’entreprises qui agit au sein d’un dispositif DAC6 peut ou non être qualifié d’« intermédiaire » au sens de la loi DAC6, et donc être tenu par l’obligation de déclaration, il convient d'examiner de plus près la définition de cette notion. Selon la loi DAC6, il faut considérer comme « intermédiaire » :

«  4° "intermédiaire": toute personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou gère sa mise en œuvre ;

  Un intermédiaire est aussi une personne qui, compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l'expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu'elle s'est engagée à fournir, directement ou par l'intermédiaire d'autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l'organisation d'un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou la gestion de sa mise en œuvre. Toute personne a le droit de fournir des éléments prouvant qu'elle ne savait pas et ne pouvait pas raisonnablement être censée savoir qu'elle participait à un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration. A cette fin, cette personne peut invoquer tous les faits et circonstances pertinents ainsi que les informations disponibles et son expertise et sa compréhension en la matière.

  Pour être [qualifiée d’]un intermédiaire, une personne répond à l'une au moins des conditions supplémentaires suivantes :

  a) être résidente dans un Etat membre à des fins fiscales ;

  b) posséder dans un Etat membre un établissement stable par le biais duquel sont fournis les services concernant le dispositif ;

  c) être constituée dans un Etat membre ou régie par le droit d'un Etat membre ;

  d) être enregistrée auprès d'une association professionnelle en rapport avec des services juridiques, fiscaux ou de conseil dans un Etat membre ; ».

L’IRE estime qu’un réviseur d’entreprises peut en pratique fournir une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l'organisation d'un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration. Par conséquent, l’IRE est d'avis qu'un réviseur d’entreprises qui fournit l’un des services susmentionnés peut être considéré comme un « intermédiaire » au sens de la loi DAC6, et qu’il est donc tenu par une obligation de déclaration. La seule exception à cette règle concerne le réviseur d’entreprises d’une EIP lorsque les services fiscaux impliquent une planification fiscale agressive, car dans ce cas le réviseur d’entreprises ne peut pas fournir ces services.

Si le réviseur d’entreprises est qualifié d’« intermédiaire » au sens de la loi DAC6 et reçoit une telle déclaration DAC6, les options suivantes sont possibles :

  • Conformément à l'article 326/7, § 1er, 1° CIR92, le réviseur d'entreprises informe à son tour un autre intermédiaire ou d’autres intermédiaires par écrit et de façon motivée du fait qu’il ne peut respecter l’obligation de déclaration parce qu’il est tenu par le secret professionnel, de sorte que cette obligation de déclaration incombe automatiquement à l’autre intermédiaire ou aux autres intermédiaires.
  • En l’absence d'un autre intermédiaire, le réviseur d'entreprises informe le client/contribuable concerné (qui est aussi un « intermédiaire »), par écrit et de façon motivée, du fait qu'il ne peut pas respecter l'obligation de déclaration parce qu'il est tenu par le secret professionnel, de sorte que cette obligation de déclaration incombe automatiquement au client/contribuable concerné. Le secret professionnel n’empêche pas le commissaire d’informer ce client par écrit et de façon motivée du fait qu’il ne peut satisfaire à l'obligation de déclaration en raison de son secret professionnel. L’hypothèse selon laquelle aucun autre intermédiaire n’est impliqué ne pose pas de problème. En effet, la réglementation DAC6 prévoit dans ce cas que soit le client accepte toujours de faire la déclaration, soit l’intermédiaire lui fournit les éléments nécessaires pour satisfaire à l’obligation de déclaration (art. 326/7, § 2 CIR92).

Impact de la DAC6 sur les missions particulières

De manière générale, on peut considérer qu'un réviseur d’entreprises qui effectue une mission particulière (par exemple, un apport en nature) liée à un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, fournit en fait une aide concernant la mise à disposition aux fins de sa mise en œuvre d’un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration pour le client/contribuable concerné, de sorte que dans ce cas, il est bien tenu par une obligation de déclaration et qu'il est également approprié que le réviseur d’entreprises soit informé des déclarations DAC6. Ceci est d’autant plus vrai que, sur la base des normes applicables à la mission particulière en question, le réviseur d’entreprises devrait au moins connaître la base de la construction pour effectuer la mission, de sorte que dans ce cas, il serait presque de facto soumis à une obligation de déclaration[3].

Commissaire dans le cadre d’un audit ordinaire n'est pas soumis au DAC6 - pas d'obligation de déclaration

Précisons encore que l’IRE est d'avis que le commissaire, dans le cas d’un audit ordinaire, ne peut pas être qualifié d’« intermédiaire » au sens de la loi DAC6, et n’est donc pas soumis à une obligation de déclaration. Comme description dans la lettre de mission, le commissaire peut inclure le fait qu'il n'est pas qualifié d’« intermédiaire » conformément à la loi DAC6, de sorte qu'il n'a donc pas l’obligation de déclaration conformément à la loi DAC6.

En outre, le commissaire peut indiquer dans la lettre de mission qu’il doit recevoir de l'organe d’administration un inventaire des déclarations DAC6 effectuées, afin de vérifier si les déclarations effectuées sont conformes à la politique fiscale de l’entité contrôlée. En outre, une déclaration DAC6 fait passer le délai du contrôle fiscal de trois à cinq ans et augmente donc le risque de contrôle fiscal sur les transactions de l'entité contrôlée.

Le problème du secret professionnel

Tout comme l’ITAA[4], l’IRE est d'avis que le secret professionnel du réviseur d’entreprises l’empêche de signaler spontanément une construction aux autorités compétentes. En outre, l’IRE estime qu'une déclaration à d’autres intermédiaires impliqués (non-clients) qui ne sont pas tenus au secret professionnel impliquerait une violation du secret professionnel. En effet, en raison de ce qui précède, l'ITAA a introduit un recours en annulation devant de la Cour Constitutionnelle contre les dispositions concernées de la loi du 20 décembre 2019, lequel est actuellement encore pendant[5].

Adaptation des modèles de lettres de mission et de lettres d’affirmation sur le site Internet de l’ICCI

L’IRE suit les développements législatifs à cet égard et l’ICCI publiera bientôt sur son site web des modèles de documents adaptés de lettres de mission et de lettres d’affirmation qui tiennent compte de la loi DAC6. En outre, un webinaire sur la DAC6 en néerlandais et en français sera enregistré et mis à la disposition des membres dans les mois à venir.

 


[1] Pour des informations plus approfondies sur ce sujet, y compris les différents marqueurs, nous nous référons à la publication : SPF Finances, FAQ : DAC 6 - Notification des constructions transfrontalières, 15 juin 2020, https://eservices.minfin.fgov.be/myminfin-web/pages/public/fisconet/document/f1d1bb0c-89ef-4424-8740-50ca28bedef0.

[2] Doc., Ch., 2019-20, n° 0791/001, p. 15.

[3] Toutefois, dans des cas exceptionnels, il est possible de faire valoir que le réviseur d’entreprises n'a pas d’obligation de déclaration lorsqu'il effectue une mission particulière, par exemple lorsqu'un réviseur d’entreprises doit effectuer une mission légale pour une organisation internationale dans laquelle il ne doit examiner que le côté national de l’organisation et qu'il n’a donc pas été en mesure d'observer le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration. Un intermédiaire n'a en effet pas d’obligation de recherche active.

[4] ITAA, Point de vue de l’ITAA sur la DAC6 et le secret professionnel : Un état des lieux actuel et quelques applications pratiques en matière de secret professionnel, complément d’information du 16 mars 2021 au point de vue émis par l’ITAA, https://s3.tamtam.pro/prod/storage/media/PDF/19577/038159e491ce3d85366f195704e09b14a876aaf3.pdf, p. 5.

 

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Erwin Vanderstappen, juriste d’entreprise